Avec un temps et une température bien automnale, l'endroit paraissait déprimant, au début. Malgré tout, c'est chez nous ; c'est la maison que mes parents se sont offert, suite à ma naissance ; c'est la terre à laquelle je me sens le plus lié, où mon caractère de faune prend tout son sens.
J'ai retrouvé les odeurs, j'ai retrouvé mes arbres... J'ai retrouvé tant de choses.
Mais l'endroit est blessé. La maison est dans un sale état en raison de nombreuses fuites dans la toiture qui ont endommagé poutres et plancher de l'étage. Le verger a disparu sous les ronces et la mauvaise herbe. Et le banc de pierre est en lambeau, car des inconnus minables auraient voulu s'accaparer la pierre d'assise.
Et la grange... La grange tient je ne sais comment !
La forêt me parait plus petite aussi... J'ai l'impression que des héctares d'arbres ont disparu !
Malgré tout, cela demeure chez moi et pour le peu de temps que j'avais, j'ai pris un immense plaisir à me balader, à caresser les fougères, les écorces.
Je crois avoir retrouvé les arbres amoureux ; mais l'ours-poisson est demeuré invisible et Marie-Isabelle, mon amie imaginaire ne s'est pas montrée. Je suis devenu peut-être trop grand pour elle. Ou trop civilisé.
Bah ! Inutile de trop m'inquiéter à ce sujet. La civilisation n'a appliqué sur moi qu'un cirage bien fragile.
Rien qu'à l'aller, dans la voiture, malgré les bavardages incessants de ma mère, je me projetais dans les bois qui nous encerclaient ; et je courais, je courais à vive allure, les yeux affamés de verts et de bruns ; et les chevreuils couraient autour de moi, avec moi ; et comme à chaque fois, nous nous figions aux limites d'une clairière pour réapparaître dans le bout de bois suivant. Je me suis longuement, avidement saoulé à l'onirisme sylvestre...
Et sur place, sur place, les chevreuils ne se montraient pas, mais je les ressentais partout. Je voulais me frotter aux troncs, me rouler dans la terre, respirer la mousse, grimper dans mes arbres, reprendre une course folle, une véritable cette fois.
Mais le temps a manqué ; nous étions en visite rapide pour un travail d'évaluation. Nous n'étions pas là pour se perdre dans le vert et le brun, loin des sinistres pierres bordelaises et des regards lâches de leurs habitants.
J'aurais voulu rentrer en puant la sueur et la terre et l'humus...
Ce sera pour une prochaine fois. Ce sera pour bientôt.
En attendant, je me récite le poème des lieux
Les yeux épicés, l'âme tourne au vert
Se noie dans un océan de conifères
Le miel hante la langue
La pomme acide aiguise les dents
Mousses et fougères caressent le corps de mille promesses
La peau se veut écorce
Mais c'est une fourrure animale qu'envahit le vent nocturne
Le sabot fou scande le sol
L'echo de la terre frappe son coeur à peine humain
Et du fond de sa gorge vibre un rire panique
Qui n'est plus le sien